Médias

Désolé, j’ai plus la télé

« Désolé, je regarde pas la télé », « Je ne regarde plus la télé » ou encore « j’ai pas la télé ». Combien de fois ai-je entendu cette phrase ces derniers temps. Tantôt de manière totalement désintéressée, parfois avec une pointe de satisfaction totalement consentie. Pourquoi la télé n’attire plus en 2020, ou pourquoi le fait de ne pas avoir la télé attire ? C’est une question de fond qui me turlupine et m’attriste aussi depuis plusieurs mois.

L’origine de la télé

C’est à la fin du XIXème siècle que naît l’idée d’un appareil qui transporte des signaux pouvant être traduits en images et sons, qu’on appellera plus tard « télévision », ou plus familièrement « télé ». A la fin des années 20, et après que certains organismes publics testent le concept de télévision, le gouvernement Poincaré fonde le premier service français de radiodiffusion rattaché aux PTT. Quelques années plus tard encore, c’est la chaîne Radio PTT Vision qui diffuse ses premières émissions et images.

Logo de la Radio PTT Vision, l'ancêtre de la télé.
Logo de Radio PTT Vision, source Wikipedia

Cette chaîne, très peu reçue du fait du coût du récepteur et de son nombre limité, diffuse sur de courtes périodes de la journée des émissions culturelles et de variété.

Après la seconde guerre mondiale et la reprise du service de radiodiffusion par le gouvernement français, plusieurs décrets dont un décret Mitterand visent à normaliser la diffusion de ces ondes permettant de recevoir des émissions en sons et images. En 1949, la RTF est créée, et la télévision devient à juste titre un vrai média qui ne demande qu’à être évolué.

Second logo de la RTF ensuite devenue ORTF, autre ancêtre de la télé.
Logo de la RTF, qui place de le « T » de Télévision au centre de l’attention. La télévision moderne est née.

L’objectif de la télé

Le rôle premier de la télévision à son origine avec la RTF est simple : informer, divertir, cultiver. C’est sous cette ère de la RTF qu’apparaît le premier journal télévisé, l’institutionnel JT qui monopolise encore nos ondes télévisuelles à 13h et 20h, ou encore les premières émissions religieuses ou de jeunesse. D’autres faits marquants démocratiseront la télévision comme le couronnement en mondovision de la Reine Elizabeth II d’Angleterre.

C’est également à cette période qu’apparaît un nouvel impôt dont sera assujettis tout concitoyen possédant une télévision, et recevant donc les programmes diffusés par la RTF : la redevance audiovisuelle. Son objectif est simple : financer tout ou partie des antennes publiques de radiodiffusion.

La télévision ne cessera alors d’évoluer, que ce soit dans la diversité de sa programmation (apparition de nouvelles chaînes pour une programmation plus large et thématique, apparition de nouvelles émissions…), que dans sa technique : création de nouvelles fréquences d’ondes hertziennes, télévision par satellite avec bouquets de chaînes thématiques, télévisions numérique terrestre, adoption de nouveaux formats tels que le format 16:9 ou la HD, puis la 4K …, télévision par internet puis par la 4G, bientôt par la 5G, images 3D etc … La télé a également perdu de nombreux centimètres de sorte qu’on l’appose discrètement au mur.

La télévision ne cesse d’évoluer. Mieux : son évolution s’accélère toujours plus. Sa proposition est toujours plus grande. Et pourtant, on veut tuer la télévision.

La barrière du télécran

Un objet qui fait peur

La télévision a un gros problème : c’est un écran. Si Georges Orwell la désigne partiellement dans 1984 comme télécran avec, à juste titre, toute l’ambiguïté qu’apportait cette machine dans ses premières années (confusion entre caméra et écran), c’est parce que la télé faisait peur.

D’abord parce qu’elle invite des gens dans son salon. La télé est intrusive. Elle est une entité qui s’insère dans la vraie vie, et qui prend une place à part entière. Voire deux. Elle communique, sans que l’on puisse choisir la teneur de ses propos (ou des programmes qu’elle diffuse), sans même aussi qu’on puisse lui répondre. En fait la télé devient un vecteur d’informations dont on ne peut remettre en cause le message. Et la classe politique l’a bien compris. C’est un média efficace qui permet de s’inviter dans la vie du citoyen, tout en permettant de lui transmettre un message. La naïveté et la sympathie longtemps apportée à ce média révolutionnaire convainc. Mais l’aubaine à ses limites. Les nouveaux médias comme Internet tirent profit de ces abus pour mettre en lumière la dangerosité d’un tel monopole. L’information n’est-elle finalement pas désinformative ?

La télé paradoxe

Ce paradoxe du vice du bénéfice apporté par la télévision, se propage alors à l’ensemble de sa programmation :

  • L’information ne me désinforme-t-elle pas ?
  • Le divertissement ne m’abêtit-il pas ?
  • La culture ne me prive-t-elle pas de la vraie vie culturelle ?
  • La fiction ne m’éloigne-t-elle pas de la réalité ?

Petit à petit, la télévision dont l’écran est le symbole, devient un objet de méfiance, comme à ses débuts. L’objet fascine tout autant qu’il inquiète. Cette remise en question s’est aussi faite en plusieurs étapes, parce que la télé a franchi successivement des barrières qui n’étaient à l’époque pas permises. En bafouant les tabous, elle a souvent pu provoquer l’indignation sur des choses que la liberté d’expression, aujourd’hui chérie plus que jamais, ne nous permettrait plus de censurer. Deux exemples évidents :

  • Loana et Jean-Edouard : avec l’apparition du Loft en 2001, on découvre 2 individus faisant l’amour à la télévision. Impensable jusqu’alors. Aujourd’hui pourtant, l’on parle délibérément de sexe, quitte à le banaliser.
  • Eric Zemmour : le polémiste a longtemps choqué (et il continue !), mais au nom de quoi renoncerait-on aujourd’hui à son opinion (quand elle est fondée dans le cadre légal) ?
Loana et Jean-Edouard à la télé sur M6, dans la piscine su Loft en 2001
Loana et Jean-Edouard dans le Loft en 2001, bouleverse l’opinion publique sur ce que doit être la télévision.

La télévision par l’ampleur de son audience, est souvent reconnue comme la première source d’indignation. Pourtant, elle est surtout l’un des premiers marqueurs d’une société qui évolue.

Je préfère m’éloigner des écrans

La banalisation du peu d’intérêt que la télévision apporterait, l’incrédulité face à ce qu’elle diffuse et l’image trash qui la caractérise, conduisent inéluctablement à son détachement. Combien de jeunes parents préfèrent aujourd’hui ne plus « céder » à la télévision pour occuper ou divertir leurs enfants ?

L’illusion de l’alternative

S’éloigner des écrans de télé est le nouveau moyen de se redonner la conscience de sa liberté. Libre, dans le pouvoir de ses décisions, dans le choix de ce que je veux ou non recevoir comme informations. L’abandon de la télévision comme acte militant au nom de la liberté. Mais pour quelle(s) alternative(s) ?

Il ne fait nul doute que l’essor d’Internet dans les années 2000 a donné à la télévision « un coup de vieux ». Sur internet, je choisis ce qui m’intéresse, je choisis ce qui m’informe et ce qui me divertit. Les objectifs sont les mêmes, mais mon sentiment du contrôle est décuplé. Quand je zappais sur les touches de la télécommande pour voir ce qu’on me proposait, je tape désormais directement sur les touches de mon clavier pour voir ce que je souhaite voir : information, culture ou divertissement. A ceci près que je choisis par quel prisme j’obtiendrai ces informations. Il n’ya plus de place à la surprise, à l’inconnu. Toutes ces informations sont, comme à la télévision, juste au bout de mes doigts. Mais comme j’ai le contrôle, c’est bien mieux.

Pourtant suis-je mieux loti avec ces nouveaux médias ?

L’information

Quelles sont mes principales sources d’informations sur ces nouveaux médias : essentiellement la presse numérique et les réseaux sociaux. La presse numérique n’est qu’une évolution du journal. Si la façon de travailler et la quantité d’informations diffèrent, je suis informé à travers le même prisme que sa version papier. Une autre source d’informations croissante, ce sont les réseaux sociaux. Outre l’actualité trépidante des mes amis IRL ou virtuels, je peux voir l’information au fur et à mesure qu’elle arrive. Flashs infos et informations en temps réel se succèdent, sans que je ne puisse en vérifier la source. La plupart du temps, ça correspond bien à la vérité, mais en plaçant toute ma confiance à l’info de celui qui crie le plus fort (ou le plus vite), ne suis-je pas en train de biaiser l’objectivité de l’information ? C’est ce que j’ai pu reprocher à la télévision.

Le divertissement

La télévision ne me permet que de choisir parmi la proposition à l’instant t. La proposition de Netflix elle, est tellement vaste qu’elle me permet de choisir ce que je veux voir pour me divertir, quand je veux. Le choix est tellement large que je n’ai plus besoin d’aller au cinéma, ou bien moins souvent. D’ailleurs, je n’ai plus besoin d’attendre pour voir ce que je souhaite. La source intarissable, me nourrit en permanence de ses histoires que je bois sans limite. On a même donné un nom à cette pratique : le binge-watching. Outre ses aspects néfastes sur la santé, cette profusion n’a-t-elle pas un risque de déformation de la réalité ? J’en délaisse d’ailleurs d’autres sources de divertissements, telles que le jeu ou le talk-show qui sont inexistantes sur ces plateformes et qui ont une vertu indéniable : détendre l’esprit.

La culture

Internet fourmille de sources de culture : blogs spécialisés, livres numériques, podcast culturels etc … Là aussi je choisi ce qui m’intéresse quitte à délaisser d’autres sources culturelles que je connais pas encore.

La reconquête de la télévision

La télévision proposait déjà tout ce que proposent les nouveaux médias, voire plus, et pourtant elle souffre seulement de son image et de modernité. Elle tend pourtant à se moderniser, avec notamment le développement des plateformes de replay permettant un choix vaste de programmes très variés. La télé marche aujourd’hui aussi sur les platebandes de ses nouveaux concurrents en participant à la production de contenus destinés à la distribution sur Internet. Cette vieille machine continue et continuera sans cesse d’évoluer, laissant derrière elle les buzzs qu’elle a engendré et qui ont amené notre société à ce qu’elle est aujourd’hui.

Se priver de la télévision n’est pas un acte militant, mais une privation regrettable d’un vecteur d’informations, de culture ou de divertissement maîtrisé par 100 années d’histoire au détriment d’un unique média qui en est à ses balbutiements et reproduit les mêmes erreurs que ses prédécesseurs. Ce n’est donc pas une ouverture d’esprit, et en aucun cas, cette privation consentie ne devrait être l’objet d’aucune fierté.

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